La surprise se lit sur le visage de mon interlocutrice. Un peu comme si j’avais demandé la taille de ses chaussettes. « Mais est-ce que le monde a vraiment besoin d’être sauvé ? » glisse-t-elle dans le micro avec un petit air coquin. 

Répondre par une question lors d’un interview a de quoi me déstabiliser.  

Est-ce que le monde a vraiment besoin d’être sauvé ? Excellente interrogation qui, sans en avoir l’air vient bousculer mes croyances.  

Pourquoi penser que le monde a besoin d’être sauvé ?

Je dois bien l’avouer : penser que le monde a besoin d’être sauvé c’est enfiler joyeusement mon costume vert de Super-Sauveuse, collant à paillettes et cape comprise, pour voler au secours de la planète. Néanmoins, imaginer que ce que je fais va sauver le monde provoque un double effet kisscool : mon ego ricane de plaisir …pendant que je grince des dents. Mince, je suis (encore) tombée en plein dans le panneau. 

Et je repense alors à cette question banale, posée à la fin de ma formation de guide outdoor : « pourquoi voulez-vous être guide ? ». Sous le vernis des belles convictions « je veux faire connaitre la nature aux gens » ou « c’est important de sensibiliser le public », se cache mes zones d’ombres : ce n’est pas simple d’admettre que c’est aussi parce que « j’aime être sur le devant de la scène », que « j’aime être reconnue et appréciée ». Ça flatte mon ego et ça rassure mon enfant intérieur qui a besoin de se sentir aimé. 

Conscientiser ses propres zones d’ombre et reconnaitre la place habitée par son ego permet de prendre du recul. C’est une invitation à reconnaitre leur présence sans leur offrir toute la place, à oser se questionner, à regarder ce qu’on fait avec franchise et surtout à se demander POURQUOI on le fait.   

Balayer devant sa porte pour sauver le monde ? 

Même si j’aime porter des collants à paillettes de Super-sauveuse, je ne vais pas sauver la planète. Je ne peux que retrousser mes manches, voir ce que je peux changer chez moi, dans ma maison, avec mes enfants, dans mon frigo, dans mes habitudes. Commencer par me changer, sans vouloir changer les autres. Prendre le risque d’abandonner ce qui ne fait plus sens dans mon quotidien et choisir ce qui donne du sens à ma vie.  

L’émerveillement commence dans les détails du quotidien

Et ce qui fait sens aujourd’hui pour moi, c’est la simplicité de l’émerveillement. Il ne sauvera pas le monde mais pour citer Matthieu Ricard « c’est un premier pas pour prendre soin de la nature. » 

« Dans le cas de l’environnement, le respect se traduit par le souci d’en prendre soin. Alors que nous vivons dans une époque avec beaucoup de messages décourageants, l’émerveillement donne de l’espoir. (…) L’émerveillement suscite quelque chose qui élève, ouvre le cœur.» 

Matthieu Ricard

L’émerveillement, c’est un état d’ouverture, de curiosité et d’attente joyeuse qui s’insinue en nous lorsqu’on arrive dans un lieu inconnu, par exemple. Une sorte de vibration intérieure, de pétillance, une transformation du regard qui actionne l’ouverture du cœur et par conséquent, le champ de tous les possibles. Tout semble neuf, beau, surprenant, tout peut arriver. Et j’aime à penser que ce mécanisme d’ouverture du cœur se cultive et se vit au quotidien, ici et maintenant.   

Ouvrir les yeux, respirer, prendre son temps, observer, oser toucher… exactement comme un enfant. Chaque regard par la fenêtre, chaque sortie de chez soi, chaque balade en forêt, chaque trajet pour se rendre au travail, pour autant qu’on lève le nez de son portable, peut être matière à réveiller l’émerveillement. Les couleurs d’un matin rosé, une chaine de montagne se détachant du ciel dans le couchant, un troupeau de chamois broutant à côté de la route, les bourgeons du marronnier dans la rue, les premiers papillons, un milan en chasse au-dessus de l’alpage, une fleur sauvage perçant le bitume, un chat passivement allongé sur un banc public, des têtards dans une flaque, des empreintes dans la boue, une plume de chouette, une fleur des champs, l’odeur de l’herbe coupée, la douceur du soleil sur la peau, le gout des premières mûres pas mûres, les orties fraiches… 

Oser l’émerveillement ce n’est pas sauver la planète, c’est sauver un bout de son âme d’enfant. C’est oser choisir ce qui fait sens pour moi, laissant à d’autres le costume de Super-Sauveur-se.  

Moi je ne garde que les paillettes, car on a toujours besoin de paillettes. 

Retrouvez les réponses de nos invités à la question “L’émerveillement est-il un moyen de sauver le monde ?” dans les capsules podcast et vidéo de Rêveillons-nous !