Dans cet article, faites connaissance avec Dr. Marlyne Sahakian, professeure associée en sociologie à l’Université de Genève, Faculté des sciences de la société, avec une affiliation à l’Institut des sciences de l’environnement, où elle mène des projets de recherche et enseigne sur la thématique de la consommation dans une perspective de durabilité. Elle est également membre du Comité scientifique de la Fondation Homme et Nature.
Madame Sahakian, qui êtes-vous ?
Je suis plusieurs choses, je suis femme, amie, mère, compagne, fille. Je suis d’origine arménienne et j’ai un fort attachement au paysage suisse, le pays où je suis née. J’ai aussi grandi aux États Unis et j’ai passé beaucoup de temps aux Philippines. Je suis sociologue : une sociologue qui s’intéresse aux enjeux de la durabilité et qui travaille souvent avec des partenaires non académiques. J’ai étudié les pratiques sociales liés à la climatisation à Manille et je n’aurais jamais pensé que ce travail deviendrait pertinent en Europe. Comment garder un confort thermique et assurer que les inégalités ne se creusent pas autour du ‘frais’ en été est l’une de mes préoccupations du moment.
Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier ?
J’ai la chance de pouvoir poser des questions, faire de la recherche, être surprise par les réponses et tout cela avec énormément de liberté. J’aime collaborer et échanger avec les autres, cela me nourrit. J’aime aussi enseigner, on apprend beaucoup de nos étudiant.e.s en sciences sociales à l’Université de Genève.
Quelles sont vos valeurs ?
La solidarité, cette forme d’interdépendance qu’on retrouve dans la nature et que je recherche dans les rapports humains. L’inclusivité aussi, d’être ouverte à d’autres personnes, d’autres idées. Et le care, un mot anglais qui se traduit en français par le soin aux autres, humains et plus qu’humains.
Notre fondation a pour mission de renouer le lien à la nature. Parlez-nous de votre relation à la nature …
La nature, c’est nous. Ce n’est pas uniquement une ressource à exploiter, ni uniquement un espace à préserver, c’est une dynamique. Renouer avec la nature c’est une manière de reconnaitre que nous avons bel et bien séparé culture et science de ‘nature’, et que c’est division nous a permis – dans la société occidentale en tout cas, je ne parle pas de peuples autochtones – de mieux contrôler les ressources naturelles. Nous sommes maintenant pris au piège : nos manières de produire et de consommer font que l’être humain est devenu une force géologique, il y a des liens directs entre notre dépendance aux énergies fossiles et l’incapacité du système Terre de ‘digérer’ en quelques sortes tous les émissions de gaz à effet de serre que l’on rejette dans l’atmosphère. Il est nécessaire de repenser ce que représente pour nous tous – humains et plus qu’humains – une bonne vie, et repenser nos manières d’organiser nos sociétés en accordance.
Vos projets de recherche incluent la thématique du bien-être dans les espaces ouverts. Pouvez-vous nous en dire plus ? Pourquoi les espaces naturels contribuent-ils au bien-être ?
Ayant passé du temps dans une mega ville de l’Asie du Sud-est, j’ai réalisé l’importance des espaces verts, ouverts et publics. A Manille, il y a un verbe qui est utilisé le weekend : « to go malling », ou aller aux centres commerciaux, c’est une forme de loisir qui inclut la climatisation et le commerce. Nous avons monté un projet de recherche pour étudier les parcs à Manille, Shanghai, Chennai et Singapore. En travaillant avec la philosophe Antonietta Di Giulio (Université de Bâle), nous avons interrogé des personnes qui vont aux parcs dans ces villes sur leurs pratiques, et les liens à faire avec le bien-être humain compris comme la satisfaction de certains besoins, comme se sentir libre, avoir une voix dans la société dans laquelle on vie, ou encore se sentir en sécurité. Les espaces verts ont ce rôle de combler toute une série de besoins humains. De retour en Suisse, nous avons effectué une étude similaire pour la Fondation des Evaux à Genève : et encore, il est évident qu’être dans un parc contribue au bien-être humain. Les résultats du projet de recherche en Asie ont émergé en même temps que la pandémie, et nous avons beaucoup communiqué sur le besoin de garder les espaces verts accessible en printemps 2020. Un résultat m’est resté : même en allant seuls au parc, les gens sentent qu’ils font partie d’une communauté. Et bien sûr, le contact avec la nature est également un besoin humain.
D’où vous vient votre intérêt pour les thématiques de la consommation et de la durabilité ?
J’ai vécu très jeune à New York où je travaillais dans l’industrie du marketing – car j’étais indépendante financièrement et à vingt ans, c’était un métier qui me semblait à la fois stable mais aussi stimulant. Hélas, je n’ai pas été très stimulée et quelques années plus tard je suis retournée sur les bancs d’école pour mon Master à Genève. Mais, entre-temps, j’ai vu arriver ce qu’on appelle aujourd’hui le green washing. Que Coca Cola utilise des ours polaires pour vendre une boisson à l’heure où les scientifiques commençaient à tirer les sonnettes d’alarme sur les enjeux climatiques, cela me semblait totalement insensé. A l’ancien Institut des études du développement à Genève, j’ai choisi écologie comme spécialisation. Je me souviens qu’à l’époque je me suis dit que je serai sans doute trop sensible aux enjeux humanitaires pour choisir cette spécialisation-là. Aujourd’hui, la crise du climat, la perte de biodiversité, l’acidification des océans… ce sont tous bien évidement des enjeux humanitaires majeurs. Rien que le nombre de migrants estimé par cause de réchauffement climatique sera un enjeu majeur dans ces prochaines années.
Vous dirigez actuellement un programme Master sur la durabilité et le changement social. À votre avis, pourquoi la question du lien à la nature est-elle centrale dans les domaines de la durabilité et du changement social ? La connexion à la nature peut-elle aider à changer, pour adopter des habitudes plus durables ?
Sustainable societies and social change est un programme de Master ancrée dans le département de sociologie à l’Université de Genève. Nous cherchons à donner des outils pour mieux comprendre les enjeux de la durabilité, mais surtout des manières de comprendre comment l’on pourrait apporter ou soutenir le changement, en travaillant avec divers acteurs.trices, par exemple.
Personnellement, je suis un peu divisée sur la question de la connexion à la nature : je ne sais pas si c’est suffisant, d’aimer la nature, par exemple, ou de passer des moments en nature. C’est essentiel pour une bonne qualité de vie, mais ce n’est pas suffisant pour changer les trajectoires actuelles de nos modes de production et de consommation. Le rapport à la nature doit être sociétale – nous devons concevoir la nature non comme ‘ressource’ mais comme ‘nous’, donc de mieux comprendre notre interdépendance avec la nature, voir même dépendance. Et donc de dépasser la division entre ‘hommes’ et ‘nature’ justement.
Donnez-vous prochainement une conférence ?
En avril 2025, nous organisons une conférence sur la consommation durable à Lund, en Suède. J’organise avec des collègues une session sur les couloirs de consommation. Ce concept prend comme point de départ la nécessité d’avoir des limites inferieures et supérieurs à la consommation, afin que toute personnes, vivant aujourd’hui ou demain, puisse répondre à leurs besoins humains.
En lien avec cette thématique, il y a aussi le livre Consumption Corridors. Il est disponible en libre accès mais uniquement en anglais pour le moment.
Où peut-on suivre vos publications ?
- Le site web de l’Université de Genève liste toutes mes publications.
- Vous pouvez aussi me retrouver sur Linkedin.
- Pour plus d’informations sur les liens entre les espaces verts et le bien-être, les résultats du projet sur l’Asie se trouvent sur ce site.
Pour en savoir plus sur la Fondation Homme et Nature
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